- Le bruit de la ville
On m’aurait dit, il y a quelques années, que j’irais passer toutes mes vacances dans une ville, avec des gens au-dessus, au-dessous, à droite, à gauche, en face, avec des balcons à moins de trois mètres les uns des autres, j’aurais dit « très peu pour moi ! »
Et pourtant j’y vais et j’y retourne. En automne, à Cefalù, depuis dix ans.
C’est une petite ville piétonne ayant gardé l’empreinte que lui avait donnée les urbanistes grecs, puis arabes et normands. Elle est « construite comme une médina, une rue principale dallée de noir, et des ruelles qui en partent, telles des arrêtes d’un grand poisson »[1]. Une ville où les gens vivent sur les balcons, l’occupation principale étant de regarder passer ceux qui passent. Une foule de gens simples et joyeux, heureux de vivre et de laisser vivre.[2]
Les appartements ont tous plus ou moins la même disposition : une grande pièce cuisine-salon où on se tient, une petite salle de bains, une ou deux chambres à l’arrière, généralement borgnes ou donnant sur une cour intérieure.
La vie est donc tournée vers la rue. Il y a la télé partout, des bruits de casseroles, le ronronnement des climatiseurs, des enfants qui jouent, de temps en temps l’Ape du maraicher qui passe. Les bruits de la vie. Mais aucun éclat, pas de gens qui dérangent. Jamais. Même les chiens savent se taire : on doit leur avoir appris.
Vous dormez ici la fenêtre grande ouverte. Ici, c’est le Sud, mais ce n’est pas Naples ! On est en Sicile. Les Siciliens sont des taiseux et les gens de cette petite ville sont soucieux de la paix des autres. Il y a une prévenance, certainement héritée de millénaires de cohabitation rapprochée. Ça s’appelle le savoir-vivre. Ou le vivre-ensemble, pour parler moderne.
Ma rue sicilienne se termine par la mer, en bas, et par une école, en haut. Les parents accompagnent leurs enfants et viennent les rechercher tous les jours. C’est ainsi dans toute l’Italie et c’est valable pour tous les enfants, jusqu’à l’âge de 14 ans. Quotidiennement, deux à quatre fois dans la journée, une centaine d’enfants quittent ou retrouvent leur père ou mère sur le perron de l’école. La rue bourdonne pendant quelques minutes, mais il n’y a pas un cri. Tout le monde ensuite se disperse dans le calme.
Le reste de mon temps, j’habite dans une localité jurassienne. En face de chez moi, il y a une crèche. Les parents amènent leurs enfants dès six heures le matin. C’est un cortège de bagnoles qui vont et viennent. Les portières claquent, les moteurs tournent, les parents s’interpellent, sans aucun égard pour ceux qui dormiraient éventuellement encore. Le lundi matin, vous savez tout de la vie et du week-end de certains d’entre eux.
Je mets un point final à ce texte sur mon balcon de la rue Veterani. Ma voisine de gauche étend sa lessive et me salue d’un discret signe de la main. Le couple d’en face sirote son spritz en silence, le vieux monsieur d’en dessous manœuvre pour faire rentrer sa Vespa dans le corridor d’entrée. Il y en a trois autres qui observent pour voir s’il y arrivera.
Voilà, la Vespa est remisée, je me laisse aller à la « fatica dolce del pensiero »[3].
[1] « La fille aux abeilles ». Monique Rebetez
[2] N’y allez pas de fin juin à fin septembre ! Cette ville, comme beaucoup d’autres, souffre du surtourisme.
[3] à la douce fatigue de la pensée