La Villa Fougères
Courfaivre
C’était la première fois depuis le décès de la Mère que se tenait séance plénière. Ils étaient tous là, tous ceux qui restaient, pour décider du sort de la Villa, cette verrue qu’ils n’avaient pas voulu vendre, pas pu démolir, pas su entretenir. Ça aurait coûté.
L’Ancêtre, au XVIIIe siècle, avait fait bâtir cette ferme d’après les plans d’une maison franc-montagnarde. La Mère en avait hérité, ce qui avait foutu un sacré boxon dans la Famille. Le frère de la Mère avait reçu un champ, la sœur une armoire. Cela préluda à un procès épique, puis à des décennies où on ne se parla, lorsque vraiment nécessaire, qu’en langage de charretier.
Il y avait donc ceux du champ, ceux de l’armoire, et les Riches, ceux de la ferme.
Située dans une venelle à crottes de chiens, en plein centre du village, derrière un bistrot, la maison n’était plus que l’ombre d’elle-même : une suintante façade aux ouvertures béantes qui cachait sa décrépitude derrière un rosier grimpant. Sa beauté, ses belles proportions, son élégance modeste, personne ne semblait les voir. Les choses rurales, ici, ne sont pas une grâce, mais une malédiction.
Elle n’était plus habitée, elle ne rapportait plus. Seuls les mergats – les matous selon le glossaire local – se royaumaient dans la grange et les appartements de celle qu’on avait fini par appeler la Villa Fougères, par dérision. Ces galvaudeux y entraient et en sortaient par les fenêtres aux linteaux en vrai bois d’arbre qu’avaient rongé et gercé la vermine, les siècles et les griffes des chats.
(…)
Extrait de la nouvelle « La Villa Fougères »