J’ai une aversion grandissante pour le monde dans lequel je vis. Le monde des chiffres et des machines. Celui de l’immédiateté, du bruit, de la vulgarité et de l’arrivisme.
À mon âge, je sais qu’on ne change pas le monde. Si on ne change pas le monde, on peut, par contre, changer son regard sur le monde. Essayer d’y voir le beau et pourquoi pas le merveilleux.
En écrivant, je retrouve un peu de l’enfant que j’ai été. Je repense à ses rêves, aux histoires qu’on lui racontait, aux moments passés à cueillir les champignons, à chercher les fossiles, à pêcher ou à monter à cheval.
Alors j’écris. De la fiction. Des histoires imaginées, faites de matière perméable à la poésie et poreuse à la fantaisie.[1]
C’est la façon que j’ai trouvée de me rendre supportables les vilénies du monde, sa disgrâce, son injustice et son désordre. Je me mets en « état de poésie », comme le disait Georges Haldas. Haldas qui me touche, peut-être parce que, comme moi, il fut correcteur, enseignant et journaliste.
L’état de poésie, c’est prêter attention aux interstices, aux choses intangibles, à ce qui est immuable, aux vibrations issues de la terre, de l’eau, des arbres et des bêtes. Mettre ses sens en alerte et capter ce qui vient, l’étincelle, l’insolite, le merveilleux du moment.
Pour capter le merveilleux, il faut, d’abord, s’enraciner dans le réel. Puis se décentrer, se retrancher, se mettre en capacité de recevoir.
Il faut également une géographie propice au merveilleux.
J’appartiens au calcaire. Le calcaire, c’est la pierre de la mémoire, c’est la fossilisation du temps. Elle est faite de coraux, d’éponges, d’oursins et de coquillages.
Comment ne pas voir la poésie quand on regarde le calcaire ?
Comment ne pas en être imprégné quand on a ça sous les pieds ?
« L’état de poésie », un terroir ayant du caractère, ça ne suffit toujours pas pour faire une histoire.
Il faut avoir lu, avoir vécu, avoir exercé ses sens dès la petite enfance, pour réussir à transfuser sur des pages blanches le merveilleux qui s’offre dans la nature à qui veut et peut le reconnaître.
J’écris comme on fouille la terre, comme on tend un barbelé entre deux piquets, en cherchant la juste distance, la bonne tension. C’est un travail. Ça demande de s’y mettre, de se contraindre. Mais c’est aussi une joie, lorsque la phrase, la page, le livre prennent forme. Un travail à la fois gratifiant et frustrant, parce que les mots sont en deçà des ressentis, des rêves et des passions.
À chacune, à chacun, de trouver son univers merveilleux, son élément, et sa façon de l’exprimer. Pour moi, c’est l’eau. Les flaques, les rivières, les étangs, l’océan. Et pour les dire, c’est l’écriture.
PS J’ai appris il y a peu que mon ascendant était Poissons, le signe de ceux qui aspirent à la plénitude et la trouvent dans le silence. La planète des Poissons est Neptune, la géante bleue des mythes, des rêves et de l’imagination. Un signe d’eau, donc, bienvenu pour calmer le feu du Bélier que je suis (aussi) !
[1] Particulièrement valable pour mon recueil de nouvelles jurassiennes « Les lettres d’or ».