Ils sont partout. Amorphes, à demi-sauvages. Une race unique, ni grands ni petits, des chiens comme on les dessinerait si on vous demandait de dessiner un chien : taille moyenne, poil ras, brun crème. Ces chiens bruns vivent dans les rues bleues, se traînant de gargotes en terrasses, cherchant leur pitance dans les poubelles ou implorant les touristes. Ils sont partout où il y a de l’ombre. Ombre des figuiers, ombre des remparts, des églises et des balcons de Parikia, capitale de l’île de Paros.
Pour moi, en 2005, Parikia est le port dans lequel je fais escale entre Athènes et Santorin. C’est une petite ville bucolique à cette époque et un site subissant aujourd’hui le surtourisme par déversements successifs de milliers de croisiéristes.
Ce jour-là, à l’heure où bêtes et gens cèdent à l’engourdissement voluptueux de la sieste, arrive un pop. Barbe blanche et soutane noire. Il passe. Les chiens se lèvent, hurlent à la mort, puis s’abandonnent à nouveau à la somnolence. Le pop traverse la ville et, partout sur son passage, le même scénario se reproduit, dans l’indifférence humaine générale.
Intriguée, je demande, avec mes deux phrases d’anglais et mes trois mots de grec (ancien !) à l’autochtone du bar la raison et la signification de ce soudain tapage.
Il me répond :
« Quand pop passe chiens toujours crient. »
J’ai raconté l’anecdote pendant des années. Personne ne pouvait m’expliquer pourquoi « quand pop passe chiens toujours crient ».
Jusqu’à cette discussion avec un ami grec, lors d’un autre voyage. C’est à lui que je dois cette histoire des chiens de Paros.
De tout temps, les autorités ont tenu à faire de ces îles des contrées civilisées où les chiens, omniprésents, ne prospèrent pas comme des loups ou des chacals.
On en avait autrefois exporté vers des îlots déserts où, privés d’eau douce et de nourriture, ils avaient fini par se dévorer entre eux. On raconte qu’on les entendait hurler, puis que la puanteur avait pris le relai.
Ceux restés en ville étaient, jusque dans les années 1970, régulièrement « régulés ». Les chiots étaient pris à leurs mères, puis assommés. Et c’est au pop que, traditionnellement, incombait cette tâche.
Depuis des générations de chiens, on castre ou on stérilise dans les îles. Mais les chiens de Paros ont gardé le souvenir du pop et de son bâton. Hurler lors de l’arrivée du pop est devenu un réflexe, comme pour leurs cousins, les chiens de Pavlov. Mais ceci est une autre histoire.