Publication TransJura

Pour ses 175 ans, la Société jurassienne d’émulation et L’Épître ont organisé un concours d’écriture.

Les textes ayant retenu l’attention du jury figurent dans la publication TransJura. Nouvelles imaginaires éditée par les Éditions SJE dans la collection Æncrages.

Les nouvelles du recueil:

« La cause du décès » par Léonie Adrover
« La promesse du mélèze » par Pierre Crevoisier
« Coule le sang du cochon » par Julie Seuret
« Vague de froid meurtrière » par Monique Rebetez
« Le biscaïen » par Jean Prétôt
« Mémoire du terroir » par Reto Steffen
« Le saule pleureur » par Estelle Dongiovanni
« L’impermanente » par Alexandre Sadeghi
« La Dame blanche » par Caroline Toussaint

L’ouvrage peut être commandé auprès de La Société Jurassienne d’Émulation


Écouter le début de « Vague de froid meurtrière », texte de Monique Rebetez:

Ambiance sonore : Pascal Lopinat

Lire un extrait

« … Dans la cuisine, il y avait quatre chaises et trois coussins. Ils avaient dû être rouges, à l’origine. À présent, leur couleur était indéfinissable, un vieux rose délavé par l’ombre, comme si le tissu avait absorbé la grisaille ambiante. Sur la chaise sans coussin dormait Grisou, un matou agile et malin, grand comme un lynx, avec des poils sur les oreilles et sept anneaux sur sa queue. Il a décampé quand Bébert a ouvert la porte.

Tout traînait, mais rien n’était là par hasard. Ça faisait comme une harmonie. Sur l’armoire, un bocal à concombres, avec des bouts de ficelle et des pincettes, une boîte rouge de graisse à traire. Sur le bord de l’évier en pierre, un pavé de savon, un bidon de mélasse qui devait contenir de l’huile de moteur. 

Bébert, pour moi, c’est plus un lieu qu’une personne. Et la Babylone, c’est pas Byzance, tu vois ? Durant toutes ces années, il avait accumulé tant de choses que son monde s’était étréci et il avait étréci avec lui. Bébert n’avait peut-être pas inventé le ciel, mais c’était un bon bougre. Homme de versants inclinés, il ne marchait droit que dans la pente. Et si certains se moquaient de lui parce que le temps l’avait courbé, moi je pense qu’il s’était naturellement poussé pour laisser un peu plus de place à ses bêtes. À défaut de femme et d’enfants. Bébert est en même temps l’homme le plus généreux que je connaisse et le plus sombre des misanthropes. Je crois que mes visites lui faisaient du bien. Il était même allé jusqu’à la confidence : « conjugal, couple, vous voyez, M’dame, c’est aussi moche l’un que l’autre. Conjugal, ça me fait penser aux interminables leçons de français, quand on faisait les verbes, et couple, aux perruches encagées qui se volent dans les plumes par habitude et se frottent le bec par désœuvrement. »

De sa voix épaissie par des années de Virginie sans filtre, il a demandé si on voulait un café. Il nous a servi un liquide tourbeux dans des verres à pied qu’il a posés sur une toile cirée que j’ai toujours vue suante. Dans de gros verres disparates, il a versé une gentiane à chacun. Quand il est allé dans l’arrière-cuisine, l’omniprésent ruban jaune alourdi de centaines de mouches crevées s’est affolé. Le vétérinaire s’est levé, a pris le savon sur l’évier et s’est mis à savonner énergiquement une tache de sang qui avait maculé sa veste. L’inspecteur relisait ses notes. Le jeune flic tournait sa cuillère dans son café en regardant ailleurs. Moi, je restais debout à côté du fourneau… »